Analyse sur l’évolution des véhicules électriques chinois en Europe

Véhicules électriques

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé le lancement de l’enquête sur les subventions chinoises aux constructeurs de véhicules électriques en mai 2022, avec un objectif de la conclure sous 13 mois. Les élections européennes ont lieu ce 9 juin, la Commission européenne sera ensuite renouvelée et devra se soumettre au vote concernant cette enquête du Parlement. De nombreux constructeurs chinois s’apprêtent à rentrer sur le marché européen et attendent les éventuelles modifications de droits de douane pour adapter leur stratégie ou précipitent leur arrivée avec des parcs pleins sur les principaux pays européens.

Rappel historique de l’arrivée des voitures chinoises sur le marché européen

L’arrivée des constructeurs chinois n’est pas un phénomène récent. En réalité, les deux marques qui ont les résultats les plus impressionnants sont celles qui observent le marché européen depuis très longtemps :

  • MG dont l’actionnaire SAIC a repris en 2005 l’ensemble que BMW n’a pas gardé des actifs de British Leyland, repris en 1995 (BMW a développé Mini, Rolls-Royce, Bentley revendu ensuite à Audi)
  • Geely qui a racheté Volvo à Ford en 2010, puis 10% de Mercedes-Benz en 2018, imité fin 2021 par BAIC qui prend une part légèrement supérieure à Geely

Ces entreprises chinoises ont une fenêtre ouverte sur l’Europe depuis plus de 10 ans et une connaissance approfondie et ancienne du marché européen. À eux deux, ils réalisent 90% des ventes de voitures électriques chinoises à travers leurs marques.

SAIC s’installe en Europe avec MG mi-2019 et lance la marque en France en 2020 avec un modèle : la MG ZS. En 2023, MG vend plus de 230 000 véhicules en Europe à plus de 90% en full-electric avec la gamme la plus vaste du marché avec la MG ZS, la MG4, la MG5 et le Marvel. Le constructeur s’apprête à aborder le marché le plus important : celui des full hybrides (HEV) avec la MG3 et des ambitions de volumes très importantes.

Sur le segment des véhicules utilitaires, SAIC lance MAXUS à peu près à la même époque et en 2022 en France. Il est actuellement le seul constructeur de véhicules utilitaires électriques chinois présent en Europe.

De son côté, Geely a lancé Lynk & Co en 2021, Polestar en abonnement mensuel libre en 2020 et débute avec Zeekr une stratégie à la Tesla de distribution directe à travers ses propres succursales.

D’autres marques chinoises ont été lancées en Europe avec une couverture géographique limitée (en général en Europe du Nord) : NIO, XPENG, SERES, à l’exception de AIWAYS représenté dans 17 pays, qui connait un trou d’air actuellement.

Plus récemment en 2023 BYD, leader mondial avec TESLA des BEV, s’est déployé en Europe avec de grandes ambitions et a annoncé la construction d’une usine en Hongrie.

De nombreux autres constructeurs s’apprêtent à rentrer sur le marché européen et attendent les éventuelles modifications de droits de douane pour adapter leur stratégie ou précipitent leur arrivée avec des parcs pleins sur les principaux pays européens.

Et si l’on ajoute les véhicules électriques de constructeurs occidentaux fabriqués et importés de Chine (Dacia Spring, Volvo, BMW…), la part des importations chinoises atteint 5% en 2023, dont la moitié pour des fabrications de véhicules de constructeurs européens.

Plus de 40 marques proposaient des véhicules électriques fin 2023 en France, plus de 120 au même moment en Chine

L’offre de véhicules chinois 100% électriques amène de ce point de vue plus de concurrence et donc plus de choix au consommateur européen, un choix de véhicules à la technologie éprouvée et reconnue comme la plus fiable et aboutie.

Le premier véhicule électrique vendu en Chine l’a été en 2008 et le premier véhicule électrique vendu en France, la Zoé – dont Renault a arrêté la fabrication en 2024 après 440 000 véhicules écoulés – l’a été en 2012. Du point de vue chronologique, l’Empire du Milieu dispose d’une avance d’au moins quatre ans sur les producteurs européens.

Le plan stratégique MIC 2025 (Made in China 2025) fixait en 2013 comme objectif que les constructeurs chinois représentent 70% des véhicules à nouvelle énergie (NEV) en 2022 et 80% en 2025.

À la faveur de ce plan, la Chine a investi toute la chaîne de valeur de la voiture électrique, de l’achat et l’exploitation de mines de terres rares nécessaires à la fabrication de batterie, aux usines de raffinage, fabrication de batteries, de moteurs, de chaines de tractions, à l’assemblage de voitures.

C’est déjà le cas et BYD est devenu le premier constructeur en Chine en 2023 devant le groupe Volkswagen qui a perdu un million de ventes entre 2019 et 2022 et qui ne détient que 2,5% de parts de marché des électriques en Chine.

Les constructeurs européens annoncent qu’en 2026 ou 2028, le prix d’un véhicule électrique sera équivalent à sa version thermique. C’est déjà le cas en Chine, le plus gros marché mondial avec 23 millions (Europe 13 millions, États-Unis 14 millions) électrifiés (BEV) à 25% et à 50% en ajoutant les HEV, PHEV et autres EREV (Extended Range Vehicle).

Les consommateurs chinois profitent donc de l’effet d’échelle de l’énorme marché chinois pour acheter des véhicules électriques à partir de 11 000 € hors subventions. La Chine a d’ailleurs supprimé les subventions à l’achat fin 2022.

Du côté français, la France pratique une politique de subvention à l’achat des véhicules électriques depuis plusieurs années et, selon le cabinet d’expertise automobile Jato Dynamics, il y a une corrélation directe entre les incitations à l’achat et la vente des véhicules électriques.

Soutenue par le bonus écologique de 4 000 € (7 000 € pour les personnes dont le revenu fiscal de référence par part est inférieur ou égal à 15 400 €), la voiture électrique a fortement tiré le marché de l’automobile en 2023 en France : 26 % des ventes de voitures neuves sont des voitures électriques et 17 % de tout électrique, ce qui représente une hausse de 47 % par rapport à 2022.

D’autant plus qu’en décembre dernier, le gouvernement français a publié les nouvelles conditions du bonus qui incluent désormais la prise en compte de l’éco-score de l’automobile. Aucune marque chinoise ou modèle fabriqué en Chine ne figure sur cette liste de subventions.

C’est une politique visant à protéger l’industrie automobile de l’arrivée des modèles chinois à bas prix. De ce point de vue, les subventions destinées aux consommateurs pourront être considérées comme des politiques de subventions indirectes vis-à-vis des constructeurs français.

L’enquête de l’Union européenne sur les subventions chinoises aux constructeurs de véhicules électriques

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé le lancement de cette enquête en mai 2022 avec un objectif de la conclure sous 13 mois.

Les importations de véhicules de Chine sont en hausse de 11% sur la période allant d’octobre 2023 à janvier 2024 et la Commission européenne a demandé aux autorités douanières de tous ses membres de recenser les importions en provenance de Chine pendant 9 mois jusqu’à la fin de la période de l’enquête.

Les enquêteurs européens sont allés aux sièges de SAIC à Shanghai et de BYD à Shentzen et en seraient revenus avec des éléments probants : transfert de fonds directs, fourniture de biens et services à des prix préférentiels et autres abandons de créances qui pourraient justifier la mise en place de mesures compensatoires à travers par exemple la hausse des droits de douane.

Les élections au Parlement européen ont lieu le 9 juin. La Commission européenne sera ensuite renouvelée et devra se soumettre au vote du Parlement.

C’est seulement après sa prise de fonction et à l’issue de l’enquête qu’elle pourra décider des mesures à prendre éventuellement si nécessaire. Avant la dernière hausse annoncée par le président américain – qui les a quadruplés, les portant ainsi à 100% -, les droits de douanes s’élevaient aux Etats-Unis à 27,5%, en Turquie à 50% et en Europe à 10%.

La Chine applique des droits de douane de 15% sur les importations de véhicules.

Véhicules électriquesLes constructeurs allemands, qui sont très dépendants de la Chine – y réalisant jusqu’à 40% de leurs ventes mondiales et 70% de leurs profits – ont exprimé leur réticence à l’augmentation des droits de douanes par l’intermédiaire du président de Mercedes dont le capital est à 20% chinois. Celui de Volkswagen lui a emboité le pas mais BMW ne s’est pas prononcé. Le président de Stellantis s’est exprimé contre les mesures prises par les USA et la création d’un marché fermé. Le président de Renault s’est exprimé dans le même sens.

L’Europe est traumatisée par la disparition de l’industrie des panneaux photovoltaïques au moment où elle accélère la transition écologique en vue du Green fit for 2055.

Il est peu probable qu’elle ne prenne aucune mesure et il est vraisemblable qu’elle décide à l’issue de l’enquête de doubler les droits de douanes ou de les porter à 25%.

La décision la plus incontestable serait de décider de les porter au niveau où la Chine taxe les véhicules européens à 15%, dans la mesure où les constructeurs chinois ont eu le temps de construire des capacités de production au moins du double de l’Europe et que leurs produits ne souffrent plus d’un déficit de performance par rapport aux produits européens, mais au contraire proposent les nouveaux standards de qualité et de performance sur lesquels s’aligner.

Du côté chinois, sauf si aucune hausse n’est décidée ou si elle se contente de rétablir l’équité parfaite entre les droits chinois et européens, il est vraisemblable que Pékin réagira.

D’ores et déjà, de nombreux articles en font état. La Chine envisage de taxer les véhicules essence de plus de 2,5 l importés, sous l’argument que cela participe à la réduction des émissions de CO2. Plutôt que d’augmenter les droits de douane, la Commission européenne ferait mieux de s’inspirer du score écologique mis en place par la France début 2024 pour taxer ou abonder le prix des véhicules suivant les tonnes de CO2 émises pour leur fabrication et approvisionnement : cela contribuerait à l’atteinte des objectifs du Green fit for 2055, serait incontestable et vertueux pour l’environnement.

Les constructeurs automobiles français qui sont en situation d’échec commercial en Chine ne s’en verraient pas fortement affectés et les constructeurs allemands, qui ont largement localisé leur production non plus à court terme. À long terme, ce sont plutôt les objectifs – déjà atteints en 2022 du plan MIC in 2025 de 80% de part de marché – combinés à l’électrification du marché qui devraient amener une réduction importante de leur volume, puisque les constructeurs chinois représentent déjà 80% des ventes de véhicules électriques en Chine. Ceux qui risquent de souffrir le plus sont les équipementiers automobiles allemands.

Il peut y avoir aussi des mesures asymétriques mais elles ne reposeraient sur aucune autre rationalité, autre qu’une compensation dans le cadre d’une guerre commerciale, dommageable aux deux parties, le plus grand marché unique et la plus grande puissance exportatrice au monde.

L’Europe décide de bannir les véhicules à émissions de CO2 en 2035

La décision du Parlement européen, élu par les peuples de tous les pays d’Europe, conscients de la catastrophe climatique vers laquelle le monde se dirige sans mesures fortes, a été de bannir les véhicules à émissions de CO2 en 2035.

Pour cela, l’Europe a besoin de tous les fournisseurs de solution. L’Europe est un marché historiquement ouvert, pour le plus grand bien de ses consommateurs qui bénéficient de toutes les innovations technologiques et de prix compétitifs.

Jusqu’à l’avènement du véhicule électrique, c’était certainement le marché le plus technologique pour le plus grand bien des consommateurs. L’Europe a craint il y a 40 ans l’arrivée des constructeurs japonais qui ont trouvé leur place avec 10% du marché, puis il y a 30 ans les Coréens qui culminent à 5% du marché.

L’histoire se répète : la différence avec les constructeurs chinois, c’est qu’ils arrivent aujourd’hui avec une rupture technologique avec le véhicule électrique. Et grâce à la politique volontariste de l’État pour bâtir une industrie nationale et fournir des modes de transport propres et abordables au plus grand marché au monde, ils ont pris une avance qui leur permet de proposer des produits qui n’ont rien à envier aux produits européens. Bien au contraire.

Les constructeurs européens sont en train d’investir massivement sur les véhicules électriques : la compétition ne fait que commencer et est loin d’être jouée d’avance.

En revanche, toute remise en question du cadre législatif serait désastreuse et condamnerait à terme l’industrie automobile européenne. Ce serait dramatique, puisqu’elle compte pour 5% du PIB européen.

L’installation d’usines en Europe : la condition nécessaire pour un succès durable des constructeurs chinois

Ils demanderont comme le font tous les constructeurs à leurs fournisseurs de confiance de les accompagner dans cette nouvelle aventure industrielle. C’est certain.

La France a de très solides atouts à faire valoir, à commencer par son énergie la plus décarbonée d’Europe avec la Suède : la réduction des émissions de CO2 est le combat des 30 prochaines années.

Sa situation géographique au cœur de 70% de la demande de véhicules (Royaume-Uni, France, Allemagne et Espagne), son infrastructure remarquable (ports, aéroports, autoroutes, voies navigables, trains à grande vitesse), la qualité de son système éducatif, la densité de son système industriel dédiée à l’automobile, son réservoir de main-d’œuvre à l’heure où de nombreux pays sont confrontés à une pénurie, en font indéniablement le meilleur choix pour implanter des usines, pourvu que l’État français et les corps sociaux intermédiaires en accompagnent la démarche.

Amis chinois : bienvenue en France !

 

Tribune de Serge Cometti (Expert en véhicules électriques)

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